Etre médiatrice me permet de suivre de nombreux parcours de vie et d’entendre des récits intimes. A travers cet article, je vous partage 5 anecdotes de médiation (prénoms et genres changés) tirées de ma pratique.

Je vous souhaite une belle plongée dans ces histoires de médiation !

Histoires de médiation : “L’absence de reconnaissance mutuelle tue !”

Thibault et Pedro travaillent ensemble au sein d’une grande association.
En période COVID, ces deux travailleurs ont eu des réactions et des positionnements bien spécifiques et plutôt antagonistes.
Thibault est très strict quant aux nouvelles règles qu’il souhaite appliquer à la lettre, ce qui le pousse à restreindre l’activité et à instaurer de nombreux changement. Pedro estime qu’il faut rester souple et poursuivre l’activité (distribution envers un public dans le besoin). Thibault est le directeur, Pedro son adjoint.
Quand je suis appelée sur ce cas, ces deux-là ne se parlent plus depuis des mois. L’impact sur les bénévoles et les salariés de leur équipe est énorme. Une dizaine de personnes souhaite entrer en médiation collective.
Ces deux hommes en rupture de dialogue non seulement ne se parlaient plus et pouvaient à peine se regarder. Les préjugés mutuels étaient très forts et chacun empiétait sur les besoins et valeurs de l’autre. Toute l’équipe était ébranlée.
J’ai fait un apport primordial sur les 5 besoins identitaires et j’ai senti à quel point cela faisait écho pour chacun.
Dès la deuxième séance, la magie a commencé a opéré. Chaque personne a senti l’impact profond sur ses propres besoins et sur ceux des autres.
Dans cette situation, chaque homme souffrait du manque de reconnaissance de l’autre. Ils souffraient du même maux, s’infligeait sans le savoir la même peine. Blessures en miroir inconsciemment activées !
Quelle beauté et quelle magie de voir la bascule entre eux : ce moment précis où chacun commence à VOIR l’autre tel qu’il est et non tel qu’il le conçoit et à se RECONNAÎTRE profondément. Sachant qu’un des hommes avait affirmé qu’il ne parlerait pas lors de cette médiation.

Mon observation ? Simplement reconnaître la beauté du processus quand les besoins profonds sont mis en lumière et se révèlent mutuellement, ouvrant ainsi une empathie profonde et porteuse de changements.

Histoire de médiation : « Quand les chefs s’en mêlent et qu’il faut résister à la pression »

Quand on m’appelle sur ce cas de médiation collective, le dirigeant me présente la situation comme un entremêlement de conflits interpersonnels entre collègues. Il ne souhaite pas y participer.

En amont de cette médiation, le directeur m’avait fait comprendre que les choses devaient aller vite et bien, essayant de me faire promettre des résultats rapides et certains. J’ai clarifié en expliquant bien que c’est un processus complexe et vivant et que les résultats ne peuvent être prédits. Et qu’on ne peut « programmer » le tempo. Comme on dit à l’institut canadien où je me suis formée « le temps du conflit est le temps des parties et donc le temps de la résolution leur appartient ».

En médiation, un magnifique processus de dialogue se met en place. Je dis « magnifique » car les participants sont entrés avec beaucoup d’authenticité et d’ouverture dans ce processus.

La « difficulté » qui s’est présentée à moi c’est entre les sessions. Le dirigeant « exigeait » des bilans à l’oral – chose que je ne fais pas. Mais refuser un appel est délicat et j’ai senti vraiment la difficulté de résister face à autant de pression. Pression que je pourrais résumer en ces termes : « je vous paye, je suis en droit de connaître l’avancée de tout cela ! ». Je suis restée concrète, factuelle, sans rien révéler du contenu abordé par les médiés.

Comment rester dans la coopération avec les dirigeants sans nuire au processus en trahissant la confidentialité ?

Plus tard, les médiés m’ont fait part de leur besoin/envie que ce dirigeant se joigne au processus, ayant réalisé que de nombreux enjeux étaient liés au management. Là encore, ce fut difficile car j’ai été face à sa résistance et sa volonté de connaître les problématiques émergées par les médiés, chose que les médiés avaient refusé, souhaitant lui en faire part à l’oral, dans un cadre sécurisé.

Cela pose la question de l’intégration délicate des managers au processus de médiation. Comment les intégrer au mieux au processus ? A quel moment ? De mon côté, je fais à partir de ce que veulent les participants…pas de règles fixes, simplement une grande écoute de leurs besoins, préoccupations et priorités.

J’ai par la suite carrément refusé les points par téléphone et je suis revenue à ma pratique habituelle : des emails très courts, brefs, factuels qui évoquent des éléments importants sur le déroulé concret mais rien sur le fond. Sauf l’accord officiel qui est partagé, ce qui est clarifié avec les parties dès le début.

Observation ? Résister aux diverses formes de pression et être alignée et en phase avec le cadre déontologique, en étant très vigilante à ce qui pourrait nuire.

Histoire de médiation : « Des jouets pour chiens qui font ‘’couac couac’’ en médiation ? »

C’est une histoire un peu comique que j’ai envie de vous partager pour ce troisième jour de défi.

Lors d’une médiation collective, un petit clan de 3 personnes est clairement formé contre les 5 autres. Même s’ils sont répartis à différents endroits du cercle, les entretiens de pré-médiation m’ont permis de capter les liens de proximité entre ces 3 personnes et « l’alliance » qu’ils forment.

Quelle ne fut pas ma surprise de les voir revenir de la pause (3 heures de séance avec une pause au milieu) avec chacun un énorme jouet anti-stress, ressemblant étrangement aux jouets que mon adorable Rainbow (le beau gosse de la photo) affectionne tout particulièrement. Des jouets très colorés et très…bruyants !

Dans le cadrage médiation, jamais je n’ai eu à l’esprit de poser une « interdiction des objets anti-stress » et rien n’avait été posé quant à des bruits extérieurs possibles.

Vous imaginez ce genre de petits bruits d’abord imperceptibles puis très agaçants qui en viennent à prendre tout l’espace ? Sensible au bruit et très vigilante aux réactions des personnes en présence, j’ai commencé à sentir l’agacement des autres participants. Accompagnée de mon stagiaire ce jour-là, nous avions un peu envie de rire aussi, notamment en ayant face à nous un énorme jouet jaune fluo qui faisait des mini couinements !

Je me suis alors rappelée d’un principe canadien essentiel « On peut tout nommer lors d’une médiation ». Alors en ces termes, je me suis lancée : « Je constate que vous avez ramené des objets après la pause, est-ce qu’ils vous procurent du bien-être et apaisent votre stress ? ». Les trois complices hochent la tête. Et j’ai pu poursuivre : « J’entends bien votre volonté de vous apaiser et si cela vous permet de rester participer au dialogue, c’est une bonne chose…néanmoins je constate que le bruitage et l’aspect visuel non négligeable prennent pas mal d’espace et je me demande comment cela est vécu par les autres, et je dois dire que de mon côté, cela commence à me disperser, comment pourrions-nous faire pour que tout le monde s’y retrouve ? ». Une petite négociation s’est alors initiée et il a été convenu qu’ils pouvaient garder leurs jouets mais en évitant de les triturer pour stopper le bruit et le côté mouvant qui attire l’œil.

Sans oser comparer mon Rainbow à un groupe d’humains (mais je crois que je m’apprête à le faire ^^), je dirais que mon chien prend son jouet pour : se rassurer (objet d’attachement) ; gérer sa frustration en secouant son jouet ; nous provoquer pour qu’on le poursuivre…jeu qu’il affectionne particulièrement.

Qu’est-ce qui se jouait à ce moment-là exactement pour ces 3 personnes ? L’histoire ne le dit pas, et si je me risque à formuler des hypothèses pour Rainbow, je ne me permettrais pas pour eux.

Observation ? Chaque médiation est un voyage surprenant ET inattendu (et parfois drôle !)

Histoires de médiation : « Le silence, cet ami surprenant »


On sait très bien que le silence est un outil puissant à part entière qui a toute sa place en médiation. Oui, mais voilà, ce jour-là, le silence m’a prise de court !

Nous sommes en séance de médiation collective en entreprise lorsqu’une participante brandit un panneau dès le début de la médiation « Je ne peux pas parler ». J’ai alors tenté de savoir ce qui pourrait être aidant pour elle pour débloquer cela et pouvoir parler. Mais elle se contenta de faire quelques “grimaces” et aucun mot n’est sorti de sa bouche pendant les 3 heures.

Comme vous pouvez l’imaginez, cela a généré toutes sortes de réactions chez les autres. J’ai été moi-même très perplexe car c’était la première que j’étais face à une sorte de « mur du silence » mais qui était à la fois très parlant.

La magie a une fois de plus opéré lors de ce processus car dès la deuxième séance, cette personne s’est ouverte et a énormément parlé, me donnant l’impression d’une digue qui lâche enfin…et l’équipe a pu aller vers une transformation et une évolution significative.

Mon observation ? Le silence a toute sa place. Il a parfois une place dérangeante, déconcertante…Parfois, il hurle. Il peut être doux ou brutal. Discret ou gigantesque. Faire place au silence et voir ce qu’il déclenche/réveille en soi et tenter de l’accueillir, quels que soient son rôle et sa forme.

Histoires de médiation : “L’amour et la haine en médiation”

C’est de séparation et aussi d’amour que je souhaite vous parler aujourd’hui.
Cette médiation que j’ai facilitée auprès d’un couple est mémorable pour plusieurs raisons.

Les 2 parties m’ont partagé en pré-médiation leur volonté, ce qui les animait à entrer dans ce processus. Le monsieur que nous appellerons Albert souhaitait reconquérir madame que nous nommerons Kate. En revanche, Kate voulait que la médiation les aide à se séparer “dans les meilleures conditions possibles” en leur donnant l’opportunité de s’exprimer sur des aspects importants.

C’est la première fois que j’étais face à des objectifs aussi contradictoires ET en partie secrets car Kate ne souhaitait pas révéler son intention de séparation à Albert. Mais tous les deux désiraient fortement entrer en médiation !

Au cours du processus, lors de la troisième séance, Albert comprit et assimila que le couple allait vers la séparation.

Instant de grande émotion lorsqu’en pleine session, Albert me demanda s’il pouvait lire une lettre à Madame, en direct. C’était plutôt à Kate à qui il fallait demander. Elle donna son accord.

Ce fut une des lettres les plus émouvantes et profondes qu’il m’ait été donné d’entendre.

Une lettre de gratitude qui retraçait les moments les plus importants et beaux de leur histoire d’amour.

J’ai eu la sensation que nos 3 cœurs battaient à l’unisson dans une émotion forte pendant quelques instants. Émotions plus fortes de leur côté mais tout de même…

Mon observation ? Nous sommes témoins des zones d’ombre des personnes et aussi de pépites comme ce genre de moments d’humanité où l’amour transpire et s’exprime, transcendant l’espace d’un instant ce que le conflit est venu atteindre. Et dans ces cas-là reconnaître qu’en tant que médiateurs nous restons des êtres traversés par des émotions qui peuvent avoir leur place en direct.

Laure Faget

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *