C’est l’histoire d’un citron pourri
C’était un citron tout ce qu’il y a de plus normal. Un beau et gros citron jaune. Une rondeur parfaite, une couleur éclatante, prêt à être consommé. Il était même finalement à peine au-dessus de la norme, bien qu’il eût atterri chez Lidl et non chez Biocoop. Il s’en était d’ailleurs fallu de peu ! Encore une histoire d’étiquette…
Il fut laissé dans un coin de la corbeille à fruits chez la Famille Piaggio, coincé entre une énorme patate qui n’avait décidément pas grand-chose à faire là et une mirabelle qui allait finir par avoir le même destin tragique. Entre les pommes de terre et les mirabelles, c’est toujours la même rengaine. Entre les premières qui prennent trop de place et semblent increvables et les secondes qui s’affligent et dépérissent au moindre laisser-aller.
Brandon le citron – puisqu’il avait tout de même un petit nom – se sentait seul, étriqué, coincé et pas vraiment à sa place. La maitresse de famille Madame Piaggio, Bianca – puisqu’elle avait elle aussi un prénom – ne gérait pas bien sa corbeille à fruits. C’était pourtant une femme exceptionnelle qui gérait absolument tout, sur de multiples fronts. Déterminée, fonceuse, méthodique, peu nombreux étaient les paramètres de son existence qui lui échappaient. Bianca gérait une entreprise d’une certaine importance qui lui aspirait son temps, son énergie, et grignotait sa vie comme une gangrène hors de contrôle. Alors elle n’avait plus vu Brandon. C’est même à se demander si elle l’avait vu un jour. Elle l’avait empoigné, à peine palpé puis jeté dans sa corbeille à fruits. Il pourrissait à une allure déraisonnable et elle ne le voyait pas. Elle aurait bien bu un « grog » à base de citron, mais elle n’avait guère le temps et il y avait toujours plus urgent !
Alors c’est simple, Brandon se laissa dépérir. Lentement, silencieusement, presque docilement. Il entraîna sans sa chute d’abord Myrtille la mirabelle qui souffrait de toutes façons de schizophrénie et Sonia la patate qui était trop grosse pour vivre bien longtemps. Ils n’eurent même pas le privilège d’être jetés en composte car Bianca n’avait plus le temps d’en faire un. Ils rejoignirent le cimetière conventionnel et triste à souhait, à l’image de leur existence banale. Le sort de ces trois compères était injuste mais naturellement cela échappa à Bianca qui mangeait (trop) régulièrement des pâtes.
C’est l’histoire d’une équipe en souffrance
On pourrait se demander si Brandon a vraiment existé et si ce récit est tiré d’une histoire vraie, avant de réaliser que l’on s’en moque. N’en déplaise à notre cher Brandon !
Cette courte histoire m’a été inspirée par différentes équipes, n’en déplaise aux équipes !
J’interviens auprès de différentes équipes à travers des séances régulières d’analyse de la pratique professionnelle (APP) et je remarque fréquemment que le besoin de l’équipe n’est pas forcément de faire de l’APP mais plutôt d’aplanir et d’apaiser certains malentendus qui pourrissent l’ambiance et grignotent l’énergie et le bien-être de chacun. Il est difficile pour ne pas dire impossible de mettre une équipe au travail (en réflexion puis en action) quand les tensions sont telles qu’elles viennent prendre tout l’espace. En résumé, il vaut mieux commencer par une régulation puis ensuite entamer le processus d’APP que de nier ce qui en présence.
Assainir les tensions pour éviter la gangrène
J’ai pu observer récemment deux modèles de leadership dans deux entreprises, avec des stratégies très différentes pour des effets radicalement opposés.
Premier cas de figure : Madame Pelot gère une entreprise dans laquelle il y a eu une altercation entre deux salariés, altercation révélatrice de nombreux dysfonctionnements. Elle n’a pas vu immédiatement que son équipe était en souffrance. Et lorsqu’elle a vu, elle a voulu étouffer les tensions. Elle a recadré plutôt très fermement sans aller voir l’origine des tensions. Quand elle fait appel à moi, deux personnes sont en arrêt et le reste de l’équipe est complètement sens dessus dessous.
Peut-on en vouloir à Madame Pelot ? Non ! Cousine de Bianca, elle gère beaucoup trop de choses, n’a plus une minute pour souffler et en plus elle n’a pas forcément les compétences pour gérer cette situation. Alors, les choses pourrissent et sans une intervention extérieure, la fin serait prévisible (se référer au destin tragique de Brandon et ses amis !).
Deuxième cas de figure : Madame Jacquot gère également une structure. Son équipe vit un épisode difficile et les réactions face à cela sont diverses et variées. La digestion de l’évènement se fait plus ou moins facilement et il en reste des séquelles. Madame Jacquot décide alors de prendre immédiatement « le taureau par les cornes » et reçoit individuellement chaque personne de son équipe. En plus de cela, elle les prévient qu’un tiers va être mis au courant et qu’une séance spécifique est prévue pour pouvoir s’exprimer au sujet de cette situation. Personne « tierce » en question, quelle ne fut pas ma surprise de voir que l’équipe était finalement déjà apaisée, chaque personne ayant pu gérer sa propre charge émotionnelle et le collectif ayant grandement apprécié la transparence de leur manageuse sur tout le processus. L’équipe en interne s’était déjà bien auto-régulée, régulation facilitée par la transparence et la considération apportées par la manageuse.
Peut-on généraliser cette expérience positive ? Malheureusement non ! Chaque crise étant singulière et inédite avec une réponse sur mesure à apporter.
Un besoin de régulation qui ne peut être passé sous silence
Tout le monde se rappelle ici de l’histoire tragique de Brandon – passé sous silence – qui avait entraîné ses camarades dans sa chute.
Le constat ici est simple : un travailleur en souffrance ou deux personnes en conflit ne sont pas des phénomènes qui peuvent être isolés, passés sous silence en pensant trop facilement que « le temps fera le reste ». L’empreinte sur le reste de l’équipe et sur l’ambiance générale n’est pas à négliger.
Et il est vain et inutile de lancer la pierre aux manageurs. Ils ont beaucoup à faire, ils agissent souvent dans une certaine forme d’urgence, ils n’ont pas forcément l’envie ainsi que les compétences pour gérer les tempêtes relationnelles.
Des techniques simples et efficaces au service du mieux-être collectif
Je remarque (trop) souvent que les équipes se gangrènent par manque de communication, par manque de temps, par manque de moyens humains.
Or, comme je le disais précédemment, on ne peut pousser une équipe au travail si elle est en souffrance. Cela serait comme incité un marathonien blessé à y aller quand même. C’est contre-productif et questionnable.
Des techniques accessibles et efficaces existent pour organiser cette régulation en équipe et ne pas laisser s’installer les tensions et difficultés. Dans cette perspective, je propose à la fois des séances de régulation en tant que tiers pour apaiser la situation et je propose également des formations pour doter les équipes d’un processus facile à mettre en œuvre pour être en mesure de s’auto-réguler.
Je vous en parle dans mon prochain article, qui sera également une occasion inédite de vous parler du petit-fils de Brandon !
Laure Faget