Formation délivrée auprès de forces de sécurité locales du Burkina Faso

Durant les trois dernières années, je suis allée régulièrement dans divers pays africains pour former. Auprès de travailleurs humanitaires sur des aspects liés à la sécurité (les fameux « Hostile Environment Awareness Training : HEAT »). Et depuis plus d’un an, je forme des forces de sécurité locales à des techniques de communication et de régulation des conflits. Ce sont des publics très différents certes. Néanmoins, tous ont finalement besoin de se pencher sur deux dimensions fondamentales et intrinsèquement liées : la gestion des conflits et la sécurité.

Travailler directement auprès des forces de sécurité intérieure

En voyant la photo qui est en couverture de l’article, une amie me demande : « Laure, tu n’as pas peur au milieu de tant d’uniformes ? ». Également, lors d’une formation en brousse vers Ouagadougou, un policier me demande : « Quelle est votre impression en venant ici, vous ne vous sentez pas en danger ? » Je réponds alors pour les faire sourire que ma mère a bien envie de cacher mon passeport mais que de mon côté je me sens plutôt tranquille. Bien que consciente des risques.

En réalité, je ne me suis pas posée la question. Et si la question n’est pas venue, c’est que l’émotion « peur » n’était pas présente. En salle, le respect et la confiance sont bien installés pour que chacun se sente en sécurité et puisse partager.

Lors de mes études humanitaires, nous étions fortement sensibilisés sur la collaboration nécessaire sur le terrain entre travailleurs humanitaires et militaires. Nous avions même été envoyés à l’armée pour tester notre endurance et résilience. Alors mener des projets avec des policiers et militaires me semble désormais naturel. En plus, je pense qu’on peut difficilement intervenir dans le domaine de la gestion des conflits sans prendre en compte la dimension « sécurité ». Surtout sur des terrains à la sécurité dégradée.

Faciliter des espaces d’échanges

Je pars régulièrement délivrer des formations pour l’association Promediation.  Dernièrement, je suis allée à plusieurs reprises au Burkina Faso former des forces de sécurité déployées en zones rouges. Ces hommes de terrain opèrent sur des terrains à haut risque, dans des régions qui se trouvent gangrénées progressivement par le terrorisme. Alors quand ils me parlent de tout ce qu’ils vivent et tout ce qu’ils observent, j’écoute attentivement. Enjeux géopolitiques, socio-culturels, conflits multiples « enracinés » avec des besoins identitaires profondément touchées par une telle situation. Ils me racontent leur pays et je ne peux que considérer et respecter ce qu’ils nous partagent.

En réalité, ce n’est pas d’eux dont j’ai peur mais bien de la radicalisation de certains groupes qui grignotent à une vitesse assez vertigineuse le continent africain. J’accueille leur désarroi, leurs craintes, leurs questionnements. Ils en viennent naturellement à interroger la possibilité même d’entrer en discussion avec ces groupes. Alors ensemble nous questionnons les forces et limites de la négociation, selon le contexte donné. « Peut-on négocier avec les groupes terroristes ? ». Question complexe qui touche des problématiques multiples. Ils soulèvent également la question suivante : « Le pays (Burkina Faso) est-il en conflit ou en crise ? ». Des développements sont proposés autour des concepts suivants « Crise », « Conflit », « Violence », pour caractériser la situation actuelle.

Permettre le partage de vécu et de perceptions diverses

Au-delà des notions et outils que l’on souhaite leur transmettre, nous avons à cœur en tant que facilitateurs d’ouvrir de véritables espaces de dialogue. Cela permet à la fois à la parole de circuler librement. Ce faisant, la cohésion entre eux s’en trouve renforcée. En vérité, cette compréhension mutuelle ainsi que cette entraide leur sont précieuses dans un tel contexte.

Des « personnes ressources » facilitent avec nous ces temps de partages et d’apprentissages. D’ailleurs, cette complémentarité entre facilitateurs extérieurs et locaux est fondamentale. Ces personnes exposent les perceptions des habitants de certaines communautés très affectées par les actions des terroristes. Leurs témoignages et partages sont essentiels pour que les forces de sécurité puissent entendre les points de vue des civils. Qu’elles puissent notamment comprendre les craintes des habitants qui expliquent leur perte de confiance envers les forces de l’ordre.

Ouvrir le dialogue sur des sujets sensibles

Aussi, nous parlons de ce qui humanise tous les êtres et des facteurs qui malheureusement « déshumanisent » certains. Nous abordons la notion de « frère », de sa force et de sa relativité. Un participant rappelle en salle que certains « frères burkinabé » ont créé un groupe islamiste. D’autres réagissent vivement en affirmant qu’à partir de ce moment-là ce ne sont plus des frères. Cet « autre » qui nous ressemble sur bien des points mais qui finit par nous détruire est-il finalement un frère devenu ennemi ? Ou un inconnu que l’on appelait frère ? Des enjeux autour de l’appartenance sont alors mis en évidence. Or qu’est-ce « qu’appartenir » dans un contexte où les enjeux ethniques, idéologiques, fonciers – instrumentalisés de différentes manières – se transforment en véritable frontière entre les êtres ?

La question des effets néfastes de la colonisation est presque toujours posée sur la table. J’écoute leur colère justifiée. On parle alors de ces dirigeants pour qui vraisemblablement la question du bien-être du peuple est la dernière chose qui compte – toutes nationalités confondues.

Ce qui est particulièrement riche c’est que chaque personne parvient à s’exprimer et des avis et perspectives variés sont partagés, dans un espace respectueux de la parole de chacun.

Parfois, je n’ai aucune réponse à leur question. Parfois, j’ai une nouvelle question à ajouter à leur liste déjà conséquente. J’écoute et je leur partage des outils et techniques autour de la communication et régulation des conflits, particulièrement utiles dans un tel contexte.

Transmettre des outils de communication et de gestion des conflits  

 A l’aide d’une boîte à outils, nous tentons de leur partager des concepts et outils qui leur permettront de développer davantage la communication et donc la confiance avec les populations qu’ils côtoient. Nous avons en tête que ce ne sont pas des universitaires qui sont là par curiosité intellectuelle ou par volonté de devenir des médiateurs à part entière. Ce sont des hommes de terrain qui de part leur métier se retrouvent tantôt dans des rôles de négociateurs tantôt dans des rôles de médiateurs, selon la situation.

En effet, si un policier est interpellé lors d’un conflit entre chefs traditionnels par exemple, des approches et outils liés à la médiation lui seront utiles. Si un militaire doit négocier l’accès à une communauté pour exercer ses fonctions, alors il se retrouve dans la posture du négociateur malgré lui. Par conséquent, ils adoptent déjà ses rôles et postures sur le terrain et nous avons à cœur de les appuyer pour qu’ils se sentent à l’aise au moment de le faire.

Par ailleurs, du fait du contexte d’insécurité, les forces de sécurité font face à des populations qui sont souvent prises en étau entre à la fois les groupes armés et les forces de l’ordre. Autrement dit, les habitants sont parfois contraints/poussés à communiquer des informations aux terroristes et elles reçoivent des menaces si jamais elles entrent en communication avec les forces de l’ordre. Aussi, elles sont parfois déçues du manque de réactivité des forces de sécurité voire méfiantes du fait de certains agissements et elles refusent alors de collaborer avec les policiers ou militaires.

Accompagner le développement des compétences relationnelles

Dans un tel contexte, il semble important de travailler sur le développement des compétences relationnelles et autres : questionnement autour de la posture à adopter, techniques de communication non violente, approches diverses pour mieux appréhender le conflit, compréhension des causes profondes de la violence, stratégies pour entrer en négociation…etc.

Leur expérience terrain rend plus facile l’assimilation des différents concepts et méthodes car ils sont confrontés à de nombreux enjeux au quotidien et voient la pertinence de renouer avec les différentes communautés.

Finalement, chacun tire de nombreux apprentissages de ces espaces de dialogue. En tant que facilitatrice, j’en ressors grandie de bien des façons.

Laure FAGET

Une réponse

  1. Cette approche de formation sur la négociation et la médiation est essentielle. Elle est pour tous surtout dans les contexts comme les pays du Sahel. C’est un vrai challenge et bravo Laure Faget pour t’y atteler. Ce qui m’inspire c’est que ces différents groupes acceptent et sont demandeurs de ces formations. C’est un premier pas vers la paix.

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