Qu’est-ce que le conflit ? Difficultés relationnelles, problèmes de communication, non-dits et malentendus, manque de respect, mensonges et trahisons, enjeux de pouvoir, valeurs qui s’entrechoquent…etc. La liste est longue lorsque je demande en formation aux personnes de nommer ce qui les fait entrer en conflit. De même que l’énumération est copieuse lorsque je demande les conséquences des situations conflictuelles. Montée des tensions, escalade de la violence, malaise persistant, communication chaotique voire même rupture du dialogue, perte de la confiance, insultes et coups bas, dénigrement mutuel. Les expressions ne manquent pas pour décrire cet état. « Sortir de ses gonds »; « Péter un plomb »; « Piquer une colère »…etc. Une personne que j’accompagne m’a même confié il y a peu : « Je ne peux pas entrer en médiation avec lui, je le hais tellement désormais que j’aimerais qu’il disparaisse ».
Alors, qu’est-ce qui provoque ce mouvement interne si puissant qu’il nous pousse à nous opposer à l’autre? Voire à vouloir stopper tout contact. Marshall Rosenberg a dit « Tout conflit est l’expression tragique d’un besoin insatisfait ». Chaque mot à son sens. Le conflit est tragique en effet en cela qu’il « inspire une émotion intense, par un caractère effrayant ou funeste ». D’ailleurs la tragédie est un genre théâtral qui met souvent en scène des individus en conflit. Il n’existe pas de « bonne » tragédie sans personnages qui se déchirent, se trompent, se blessent pour finir même par se tuer souvent. Des besoins non satisfaits seraient-ils donc au cœur de toutes ces tempêtes conflictuelles que nous vivons parfois ?
Les besoins identitaires, au cœur des conflits
Je vous ai présenté dans un précédent article cinq besoins identitaires ou existentiels que sont l’appartenance, la sécurité, l’action, la reconnaissance et le sens: https://www.lf-mediation.com/2021/12/15/les-5-besoins-identitaires/.
Besoins interreliés et nécessaires pour se sentir épanoui(e). En tant que médiatrice, j’observe que ces besoins identitaires se trouvent au cœur de chaque “histoire” que je découvre.
Aussi, j’ai fait cette observation dès ma toute première médiation. Un conflit opposait deux directeurs, un numéro 1 (soit LE directeur) et un numéro 2 (soit le directeur-adjoint). Leurs rôles et responsabilités – ainsi que ce qui s’apparentait à une haine mutuelle – les empêchait dans un premier temps d’entrer dans la matière conflictuelle. Les exemples fusaient, chacun essayant de démontrer à quel point c’est L’AUTRE qui avait tort. Chacun avait également pris le soin lors de la pré-médiation de m’expliquer et de m’illustrer les agissements terribles de l’autre pour me convaincre du caractère abominable du personnage qui se trouvait en face (mais hélas, cela ne marche pas !).
En vérité, il a fallu du temps, de la patience et une panoplie d’outils pour réussir à « descendre » dans la matière. Je dirais que cela ne se fait pas spontanément et facilement mais plutôt avec technicité, grâce à certaines pratiques, au combien précieuses [voir mon article qui démystifie le rôle des médiateurs, en présentant plutôt la méthode : https://www.lf-mediation.com/2021/10/14/le-harry-des-relations-humaines/.]
Ainsi, quelle ne fut pas leur surprise mutuelle quand ils découvrirent que chacun souffrait de la même chose. Que chacun faisait vivre à l’autre exactement ce qui le faisait souffrir atrocement. Le manque de reconnaissance. « Je souffre de ton manque de reconnaissance. Je ne peux ou ne veux te reconnaître, mais je t’en prie, reconnais-moi ». Les larmes ont jailli, les langues se sont déliées et les cœurs se sont parlés et ont été soulagés, lorsque cela a émergé.
Des besoins mutuellement insatisfaits
Bien souvent, un besoin non satisfait agit en miroir contre un autre besoin insatisfait. La personne ressent qu’un de ses besoins profonds est piétiné, impacté, voire anéanti. Soit c’est réel, soit c’est une somme de faits qui lui font sentir que ce besoin est négligé. Je pense à cette personne qui me racontait à quel point elle était « harcelée » alors qu’aucun fait caractéristique du harcèlement n’était vécu. D’ailleurs, après enquête, le harcèlement n’a pas été qualifié. Mais poser ce mot et porter cette accusation représentaient sans doute une façon pour cette personne de rendre visible sa souffrance vis-à-vis de besoins fondamentaux non satisfaits. En l’espèce, un manque de reconnaissance et un problème au niveau de l’appartenance, car une partie de l’équipe l’a rejetait. Parfois les mots utilisés ou clamés ne reflètent pas les « maux » réels.
Dans certaines situations, ce sont donc deux besoins ou plus qui sont insatisfaits de part et d’autre. Une personne agit d’une façon qui n’a aucun sens pour l’autre. Ce faisant, le besoin de sens de la personne en face est impacté. Imaginez un responsable qui vous donnerait des tâches, responsabilités ou missions insensées. Vous vous rendez au travail et nous ne comprenez plus pourquoi. Vous commencez alors à questionner la légitimité et la pertinence d’un tel responsable. Après tout, il est peut-être incompétent, à côté de la plaque, voire même « débile ». Petit à petit, l’estime et la considération à son égard s’estompent et tendent même à disparaître. Mais quand-est-il alors de son besoin de reconnaissance ? Votre besoin de sens est touché et en retour, vous impactez le besoin de reconnaissance de votre responsable. Identifier cela et l’exprimer sera alors primordial pour rétablir un relationnel de qualité.
Des besoins touchés en miroir
De la même façon, dans la sphère personnelle, nous touchons les besoins de nos proches. Parfois sans le vouloir et inconsciemment et d’autres fois volontairement. Imaginez: on vous reproche au niveau familial de ne pas en faire assez. Au sein de votre foyer, on critique par exemple votre manque d’initiative, votre difficulté à vous mettre en mouvement, votre passivité. La personne qui vous « balance » cela a très certainement un besoin d’action non satisfait. Elle aimerait vous pousser à bouger, vous booster.
En fait, peut-être que cette forme de passivité agace parce qu’elle prive la personne d’une action en votre compagnie (faire du sport ensemble, monter un projet conjointement…etc.). Ressentant cette frustration, cette personne va peut-être commencer à faire ses plans de son côté, sans vous intégrer. Cela va venir potentiellement impacter votre besoin d’appartenance, votre besoin de nourrir du lien, de générer des interactions. Le sentiment d’exclusion, de rejet voire d’abandon peuvent alors survenir. « J’agis sans toi pour nourrir mon besoin d’action mais faisant ainsi, je te mets à l’écart ». Il est alors difficile d’imaginer que l’autre a mal également, puisque ce n’est pas la même douleur qui est ressentie. Ce n’est pas le même besoin touché.
Néanmoins, parfois c’est le même besoin qui est touché en miroir. Je connais un couple par exemple qui se met en insécurité réciproquement en permanence, sans le vouloir. L’un vient fragiliser le besoin de sécurité matérielle de l’autre, de part des choix de vie qui lui sont propres (vivre avec peu, privilégier le temps à l’argent, ne pas vouloir/pouvoir investir). Et l’autre en retour vient toucher sa sécurité psychique, en suggérant que la relation peut s’arrêter à tout moment, en plaçant l’autre « sur la sellette ». Le même besoin est touché mais ses manifestations ne prennent pas les mêmes formes. On est alors dans la logique suivante : « J’impacte ton besoin et cela vient en écho toucher également ce même besoin, non satisfait chez moi également » de façon consciente ou non.
A la découverte de nos besoins profonds!
On peut alors se demander quoi faire de tous ces besoins potentiellement fragilisés. Car dans le fond, on aimerait tous être bien, épanoui(e) et équilibré(e) et on aimerait tous permettre à l’autre de s’épanouir également, que se soit dans la sphère intime ou professionnelle. Facilitant beaucoup de médiations, croyez-moi, il est très rare que je rencontre des personnes animées d’une volonté de « faire souffrir ». Mais il est fréquent de voir des personnes souffrir et faire souffrir, en bafouant ces besoins pourtant essentiels. La première chose est donc de rendre visible ces besoins. Et c’est là que se tient toute la magie du processus de médiation. Rendre visible ce qui est inconnu pour la personne elle-même. Et l’inviter à le rendre visible également pour l’autre. Et ensuite que cela soit visible en résonance mutuelle.
Par conséquent, c’est tout un chemin. Un chemin courageux, exigeant et laborieux. Car le mouvement d’accusation de soi-même ou de l’autre est toujours plus simple et plus spontané hélas qu’une introspection véritable. Or, on ne peut soigner ce que l’on ignore !
L’image des racines entremêlées invite à aller creuser. On ignore la profondeur des racines et ce qu’elles viennent toucher. Dans quelle mesure elles s’entremêlent. Les racines, bien souvent entièrement sous la terre – et de ce fait invisibles – ne sont pourtant pas inconnues. On sait très bien qu’un arbre ne peut « être » sans racines. De la même façon qu’un être humain ne peut être « bien » si ses besoins vitaux et identitaires ne sont pas satisfaits. Alors si je sais que mes besoins ont de l’importance, au même titre que ceux de tout un chacun, pourquoi ne pas en prendre soin ?
Laure Faget