C’est dans le cadre d’un partenariat avec une association de jeunesse et d’éducation populaire que j’ai proposé un cycle de 10 séances de théâtre de l’opprimé (communément appelé « théâtre-forum ») auprès de jeunes pour arriver à une représentation de théâtre-forum. Si vous voulez en savoir davantage sur ce type de théâtre  >C’est ici<.

Une équipe chic pour un projet choc !

Ce projet restera gravé en moi, et ce, pour différentes raisons. Notre équipe est déjà notable dès le départ : je ne suis ni comédienne, ni professeure de théâtre de métier. Je suis une médiatrice qui s’est formée au théâtre-forum pour (re)créer du dialogue social ! En face, j’ai un groupe de jeunes femmes qui ne sont pas comédiennes non plus et qui se lancent dans cette expérience ‘’théâtre’’ pour la première fois pour la plupart. Et nous devons élaborer autour d’une thématique essentielle et pourtant pas forcément évidente à aborder : « Genre et sexualité en milieu rural ». En vérité, cela tombe à pic car le théâtre-forum n’est pas réservé aux « artistes », c’est plutôt un outil pour explorer, s’auto-observer, mieux se connaître, (re)découvrir l’autre et élaborer ensemble sur divers types d’oppressions, pour impliquer différents publics.

Oppresseurs ou opprimés ?

Si vous êtes un grand optimiste ou que vous vivez dans un rêve, à la question : « Qu’est-ce qui vous opprime au quotidien ? », vous répondrez que rien ne vous opprime réellement, qu’il ne faut pas exagérer, qu’on n’est plus à cette époque ou des êtres humains exploitent d’autres êtres. A l’opposé, si vous avez une tendance à vous poser en victime, vous répondrez que tout vous opprime, depuis votre chef(fe) à votre conjoint(e) en passant par vos voisins, sans oublier le gouvernement (surtout en période de covid n’est-ce pas !?). En réalité, au sein du groupe, nous avons réalisé que nous avons toutes été un jour opprimées et oppresseuses, souffrant et faisant souffrir à différentes reprises. Violences physiques, violences psychologiques, multiples formes de violences symboliques, nous ne sommes pas en reste au moment de nous les infliger mutuellement au niveau sociétal.

Pourquoi un théâtre-forum ?

En théâtre-forum, rien à inventer (ou presque )! On part de ce qu’on vit, de ce qu’on observe, ce qu’on ressent. Et à partir de là, on réfléchit à ce qu’on veut montrer au public et comment l’impliquer. Comme disait Augusto Boal, le fondateur : « Ce que nous essayons de faire aujourd’hui, c’est de poser les bonnes questions, la meilleure d’entre elles étant à mon sens : quelle question voulez-vous vous poser ? ». Avec ce groupe, nous avons monté trois saynètes. La première : une scène familiale ou une jeune fille subit la pression de la part de sa famille pour enfanter. Puis, une saynète où une personne homosexuelle se voit refuser un verre dans un bar. Et enfin, une saynète où il est question d’un changement de prénom sur un registre scolaire pour une personne transsexuelle. Cette dernière saynète a particulièrement retenu mon attention au moment d’accompagner les filles à la monter. En réalité, j’avais la crainte que le public ne puisse s’identifier à ce personnage principal trans, car trop loin de leur réalité. Je me trompais à bien des égards. En effet, cette saynète a suscité de nombreuses interventions des « spect’acteurs », désireux de transformer l’issue de la scène et également parce qu’il y avait plusieurs personnes transsexuelles dans le public.

Vivre et laisser vivre !

Les enseignements ont été riches sur plusieurs niveaux : peut-être que je n’étais pas moi-même très à l’aise avec cette thématique, la connaissant peu (ou mal). Ainsi, le premier enseignement a été de faire confiance à mon groupe. En effet, le groupe sait toujours ce qu’il veut, où il va et pourquoi! Accompagner l’émergence et la concrétisation de tout cela est quelque chose de merveilleux ! Le deuxième constat c’est que les gens n’ont pas besoin de vivre une situation similaire ou proche pour pouvoir s’identifier et avoir envie d’agir. En touchant quelque chose en eux, les personnes se mettent en mouvement, de manière naturelle. La force du théâtre-forum c’est d’impliquer directement le public. Pas de « ah ben moi, à la place de ce personnage qui se trouve en difficulté, je pense que je ferais ceci ou cela… », pas de conseil ou de spéculation qui tienne, il faut essayer ! Quel courage des spect’acteurs de stopper la scène, de se lever pour remplacer et prendre la place d’un acteur afin de proposer une alternative.

Le plaisir d’être « une passerelle »

Et en tant que « joker » ou intermédiaire entre la scène et le public, quelle mission délicate mais au combien riche de faire entrer les gens dans la danse, les laissant ainsi dévoiler une partie d’eux-mêmes, tout en laissant vivre le dialogue entre public et scène pour un échange souvent vif et parfois drôle aussi ! J’aime être le témoin de toutes ces perceptions qui s’entrechoquent parfois. Voir ces liens de solidarité qui se tissent à la vitesse de l’éclair pour venir en aide à un personnage. Observer ces retournements de situations sur scène ou l’opprimé devient soudainement oppresseur ou l’inverse. Repérer quelques passants dérangés par ce spectacle, estimant sans doute que cela fait trop de bruit sur des thématiques jugées ‘’dérangeantes’’. J’aime voir certaines personnes sourire et passer leur chemin, d’autres rester « juste le temps de » et se prendre au jeu. J’apprécie de voir des personnes qui se disent « timides » monter sur scène pour offrir une alternative. Quel bonheur de voir mes « actrices » à l’aise s’adaptant à tout type de situation alors que 10 séances auparavant, elles n’étaient pas sûres de s’en trouver capables.